UPDATE : Seamlessm4t by Meta (plus que ChatGPT) est-il la concrétisation (enfin) réussie du mythe de la Tour de Babel ?

25 août 2023: Meta vient de mettre en opensource à disposition Seamlessm4t qui se targue d’être un traducteur universel qui prend en compte 100 langues par écrit et en speech to text >>> en savoir plus : https://thetechportal.com/2023/08/22/meta-introduces-seamlessm4t-an-ai-model-that-translates-and-transcribes-nearly-100-languages/

L’humanité a toujours été fascinée par l’idée de surmonter les barrières linguistiques. Cette ambition est ancrée dans nos mythes les plus anciens, comme le récit biblique de la Tour de Babel. Aujourd’hui, cette aspiration trouve écho dans les avancées des technologies des modèles de langage à grande échelle (Large Language Models, LLM) basés sur l’architecture Transformer de type ChatGPT, Bing Chat, Bard, Llama, Claude…

Le récit biblique de la Tour de Babel et les LLM partagent une ambition commune : transcender les limites linguistiques. Dans le mythe de Babel, l’humanité, unie par une seule langue, entreprend de construire une tour qui atteindrait le ciel, illustrant une volonté d’unification et de grandeur. De même, les LLM cherchent à créer une intelligence artificielle polyglotte capable de comprendre et de générer du texte dans diverses langues, démontrant une aspiration à l’unité malgré la diversité linguistique.

Toutefois, il est essentiel de reconnaître que les motivations à la base de ces ambitions sont très différentes. Dans le récit biblique, l’ambition est teintée d’orgueil, avec une volonté de rivaliser avec le divin. Par contraste, les LLM sont motivés par une volonté de résoudre un défi technologique et d’améliorer les interactions humaines à travers les barrières linguistiques.

La Tour de Babel et les LLM représentent tous deux des moments de progrès significatifs. D’un côté, nous avons une tour monumentale, symbole de l’innovation architecturale de l’époque. De l’autre, les LLM, qui sont le fruit des avancées en apprentissage profond et en traitement du langage naturel, sont de véritables prouesses technologiques. Cependant, les conséquences de ces avancées diffèrent considérablement. La construction de la Tour de Babel a fini par entraîner la dispersion de l’humanité à travers le monde et la naissance de différentes langues, entravant ainsi la communication. À l’inverse, les LLM ont le potentiel d’unir les personnes en facilitant la communication à travers les barrières linguistiques.

Dans le récit de la Tour de Babel, l’intervention divine a mis fin à l’ambition humaine. Avec les LLM, il n’y a pas d’intervention divine, mais il y a de sérieuses considérations éthiques et sociales. L’essor des LLM soulève des questions sur leur utilisation responsable, la protection de la vie privée, les biais algorithmiques, et la fracture numérique. Alors, est-ce que ChatGPT, ou tout autre LLM, est une version réussie de la Tour de Babel ? La réponse est plus compliqué qu’il n’y parait.

D’une part, les LLM réussissent là où la Tour de Babel a échoué : ils parviennent à surmonter les barrières linguistiques, facilitant ainsi la communication et l’échange d’idées. ChatGPT, Bard et les autres permettent à des personnes ne maitrisant pas bien une langue (illettrisme, personnes muettes ou sourdes, dyslexie, dysorthographie, etc) de s’exprimer, d’être comprises et d’obtenir une réponse dans plusieurs langues (bientôt toutes y compris le Breton, l’Occitan, etc) ou selon leur degré de compréhension (« explique moi l’informatique quantique comme si j’avais 12 ans »).

D’autre part, les LLM ne sont pas encore « parfaits » loin de là. En premier lieu le nombre de langues qu’ils maîtrisent n’est pas encore complet (100 environ). Ensuite les questions éthiques et sociales qui les entourent nécessitent une réflexion et une réglementation attentives. On sait que les corpus de textes qui sont tokenisés par les LLM pour leur entrainement sont linguistiquement biaisés (contenus anglo-saxons ou « occidentaux ») et à posteriori « traduits » dans d’autres langues. Donc on serait légitimes à se poser la question de savoir si un LLM « francophone », entraîné sur des contenus exclusivement francophones, serait différent par nature d’un LLM multi-linguistique ou anglo-saxon qui serait ensuite « transposé » dans d’autres langues.

Tout comme la construction de la Tour de Babel, l’essor des LLM est une manifestation de l’ingéniosité et de l’ambition humaines. Cependant, il est essentiel que cette ambition ne nous aveugle pas aux implications potentiellement néfastes de ces technologies. Comme le récit biblique nous le rappelle, l’orgueil humain doit avoir des limites. En matière de LLM, nous ne devons pas pécher par solutionnisme technologique, car ce sont les personnes les plus vulnérables, celles qui risquent d’être laissées pour compte, qui pourraient nous en vouloir… et l’idée que l’anglais puissent être la « méta-langue » qui permet de traduire toutes les autres, ou que le langage est réductible à des tokens vectorisés serait un « blasphème » pour les linguistes autant que pour le bon sens.

Abordons donc le développement et l’utilisation des LLM avec humilité et prévoyance, en gardant à l’esprit les leçons de la Tour de Babel. C’est seulement alors que nous pourrons vraiment dire que nous avons réussi là où la Tour de Babel a échoué et reconstruire une autre unité du genre humain dont nous avons tant besoin pour faire face aux défis communs qui sont devant nous.

L’IA et le futur du travail: on se met au boulot ou bien ?

Voilà un article sur une thématique qui m’est très chère, puisque je la vis au quotidien avec Simplon : le futur de l’emploi à l’heure de l’IA, et sur un sujet pas facile et controversé.

Je suis tombé dernièrement sur une étude de l’OCDE qui anticipait la disparition de près de 15 millions d’emplois dans les 20 prochaines années à cause (ou grâce) des progrès exponentiels de l’IA et de l’automatisation. Rassurez-vous tout de suite, je ne pense pas qu’on sera tous chômeurs, contrairement à ce que prédisent certains « prophètes de malheur » plutôt pessimistes. En fait, ces études prospectives oublient souvent de mentionner que de nouveaux emplois vont aussi être créés, en nombre, par les mêmes technologies qui en détruisent, et qu’elles vont aussi transformer la nature même du travail pour la majorité d’entre nous.

Midjourney – Artificial Intelligences and Humans peacefully working together, Utopic Cartoon style –s 50 –v 5.2

Pour le meilleur et pour le pire.

Côté meilleur, l’IA va nous permettre de déléguer les tâches pénibles, répétitives et sans valeur ajoutée au robots et aux algorithmes. On aura plus de temps pour se concentrer sur la créativité, l’innovation, les relations humaines et le sens au travail. L’IA pourra aussi augmenter nos capacités cognitives, améliorer notre productivité et personnaliser nos expériences.

Côté pire, les emplois peu qualifiés et ceux basés sur des compétences facilement automatisables risquent de disparaître. De plus, la frontière entre vie privée et vie professionnelle risque de s’estomper définitivement avec des IA de plus en plus intelligentes et omniprésentes. On aura aussi affaire à la dépendance croissante aux machines et à la perte de certaines capacités humaines (calcul mental, orientation, mémorisation, etc.).

Pour conclure, je reste convaincu que l’humain restera irremplaçable. La créativité, l’empathie, la collaboration, la pensée systémique ou encore la sagesse sont des capacités qui font notre humanité. À nous d’utiliser l’IA pour les développer et non les remplacer.

Le succès de demain appartiendra à ceux qui sauront allier l’humain et la machine, en faisant interagir le meilleur des deux mondes. Notre avenir n’est pas de nous faire remplacer par les robots mais de travailler avec eux, en complémentarité. La clé sera la formation tout au long de la vie pour développer ces « complementary skills » et d’autres compétences d’avenir.

Midjourney – Artificial Intelligence taking over human jobs, Dystopic cyberpunk style –s 50 –v 5.2

Sacré Benedict…

L’article « AI and the automation of work » de Benedict Evans m’a également marqué car pour une fois il discute de l’impact de l’IA générative, des grands modèles de langage (LLM) et de ChatGPT sur l’avenir du travail et de l’automatisation. En voici les points principaux :

  • Changement Générationnel : L’IA générative, les LLM et ChatGPT sont considérés comme un changement générationnel dans ce que nous pouvons automatiser avec le logiciel. Ils devraient apporter plus d’automatisation et de nouveaux types d’automatisation.
  • Automatisation et Emplois : L’auteur soutient que bien que l’automatisation puisse éliminer certains emplois, elle en crée également de nouveaux. Cela a été la tendance au cours des 200 dernières années. Cependant, la crainte est que les nouveaux emplois créés par l’IA et l’automatisation ne soient pas aussi prévisibles ou aussi nombreux que les emplois qui sont automatisés.
  • Le Sophisme de la masse de travail : L’auteur discute du « sophisme de la masse de travail », qui est la fausse idée qu’il y a une quantité fixe de travail à faire, et que si une partie du travail est prise par une machine, il y aura moins de travail pour les gens. Cependant, si une tâche devient moins chère grâce à l’automatisation, plus de personnes peuvent se la permettre, et elles ont plus d’argent à dépenser pour d’autres choses, créant de nouveaux emplois.
  • Le Paradoxe de Jevons : L’auteur introduit le paradoxe de Jevons, qui suggère que lorsque la technologie rend les processus plus efficaces et moins chers, nous avons tendance à en utiliser davantage, ce qui entraîne une augmentation de la consommation. Ceci a été appliqué au travail de col blanc depuis 150 ans.
  • La Vitesse d’Adoption : L’auteur souligne que l’adoption de technologies d’IA comme ChatGPT se fait beaucoup plus rapidement que les technologies précédentes comme l’internet ou les PC. Cependant, l’auteur soutient que le remplacement ou l’automatisation des outils et des tâches existants n’est pas trivial et prendra du temps.
  • Le Taux d’Erreur : L’auteur discute du taux d’erreur des technologies d’IA, affirmant que bien qu’elles puissent répondre à ‘tout’, la réponse peut être fausse. C’est parce que les technologies d’IA ne font pas une recherche dans une base de données mais créent un modèle. Comprendre cela est crucial pour éviter les erreurs.
  • L’Avenir du Travail : L’auteur suggère que les LLM détruiront, déplaceront, créeront, accéléreront et multiplieront les emplois tout comme les technologies précédentes l’ont fait. Cependant, la vitesse de ce changement pourrait causer plus de douleur de friction et rendre plus difficile l’adaptation.
  • La Question de l’AGI : L’auteur conclut en discutant du potentiel de l’Intelligence Artificielle Générale (AGI), un système qui pourrait faire tout ce que les gens peuvent faire sans aucune limitation. Si un tel système existait, il pourrait potentiellement remplacer les humains dans de nombreux emplois. Cependant, l’auteur soutient que nous sommes loin d’atteindre l’AGI, et jusqu’à ce que nous y arrivions, nous avons affaire à une autre vague d’automatisation.

Mais que disent les études (lol) ?

D’après des études récentes menées par le MIT, le NBER, Goldman Sachs, OpenAI/University of Pennsylvania et Accenture, de nombreuses professions dans les pays développés seront fortement impactées par le travail assisté par l’intelligence artificielle (IA) ou par son remplacement. Bien que les impacts varient considérablement selon les professions, l’IA a le potentiel d’affecter 80% de la main-d’œuvre aux États-Unis et, selon un rapport de Goldman Sachs, d’augmenter le PIB mondial de 7%. Une étude d’Accenture montre que, parmi 22 groupes professionnels, 40% des tâches actuelles présentent un fort potentiel d’automatisation ou d’assistance, notamment dans les secteurs des services financiers, des logiciels et des plates-formes, de l’énergie, et des communications et des médias.

Les gains potentiels de productivité sont significatifs. Même avec des mises en œuvre relativement précoces de l’IA sans contexte d’entreprise, une étude récente du MIT a montré que la productivité des travailleurs sur des tâches typiques de bureau pourrait être améliorée de plus de 50%, les tâches de codage pouvant être réalisées deux fois plus rapidement grâce à l’IA. Les résultats varient considérablement selon les fonctions : dans le support client, des études ont montré une augmentation de 14% du nombre de problèmes traités par heure avec l’assistance de l’IA, et les économistes ont observé une augmentation de productivité de 10 à 20%. En revanche, dans les ventes, les représentants du développement commercial (RDC) peuvent envoyer 15 e-mails personnalisés et étudiés par heure avec l’assistance de l’IA, contre trois par heure manuellement, soit une différence de 5 fois. À mesure que les modèles s’améliorent et qu’ils ont accès à des données d’entreprise plus holistiques, ces chiffres augmenteront davantage.

Les travailleurs moins productifs ou nouvellement embauchés bénéficient de manière disproportionnée de l’IA. Selon l’étude du MIT sur les tâches de bureau, non seulement tous les travailleurs étaient plus productifs avec l’IA, mais les gains étaient beaucoup plus importants pour les travailleurs moins productifs au départ, et leur taux d’amélioration était plus élevé. Le même constat a été fait dans la recherche du NBER sur la productivité des centres d’appels, où les opérateurs des centres d’appels pouvaient choisir des réponses générées par l’IA pour répondre aux demandes d’assistance. Dans cette dernière étude, le modèle était continuellement amélioré grâce aux réponses des opérateurs hautement qualifiés, ce qui permettait de partager les connaissances tacites des travailleurs les plus qualifiés à l’ensemble de la main-d’œuvre.

Et le « AI & Skill-Biased Technical Change » alors ?

Dernier truc que j’ai envie de vous partager car ça m’a marqué, c’est que des recherches confirment qu’il y a bien un « biais » dans les IA au niveau de leurs impacts sur les compétences et le monde du travail, mais c’est pas celui qu’on imagine. En effet, le « changement technologique biaisé en faveur des compétences » est une évolution validée par la recherche en 2016 et en 2023 qui démontre que les travailleurs qualifiés sont favorisés car cela augmente leur productivité et donc leur demande relative, en particulier avec l’adoption de nouvelles technologies d’information. Cette tendance a des implications importantes pour la répartition des revenus et peut contribuer à l’augmentation des inégalités salariales. Une étude portant sur 16 pays européens entre 2011 et 2019 a révélé que la part d’emploi a généralement augmenté dans les métiers plus exposés à l’intelligence artificielle (IA), en particulier pour les métiers qui emploient une proportion plus élevée de travailleurs jeunes et qualifiés. Cependant, cette tendance n’est pas uniforme et varie en fonction du rythme de diffusion de la technologie, du niveau d’éducation, de la régulation du marché des produits et des lois de protection de l’emploi. Aucune preuve solide n’a été trouvée d’une relation entre les salaires et l’exposition potentielle aux nouvelles technologies.

Cela est assez intéressant je trouve non ? Mais les choses ne sont pas claires hein ?
Donc ça veut dire qu’on a pas fini d’en parler, ici et ailleurs.

Et vous, qu’en pensez-vous?