Encore des mots compliqués, mais toujours la même idée : le digital c’est spécial mais ça devrait pas 😉
Brians Solis a souvent l’habitude de nous re-dire à l’envie que le digital est darwniniste/darwinien en ce sens – évolutionniste et de la sélection naturelle – qu’il fait le tri, non pas entre les forts et les faibles, mais entre ceux qui s’adaptent vite et bien, et ceux qui ne le font pas, et qui ont donc vocation à… disparaitre !
Je suis assez d’accord avec cette vision car elle cadre bien avec l’idée que je développe depuis des années auprès des annonceurs et selon laquelle la maitrise d’Internet comprend intrinsèquement un « pouvoir égalisateur » – comme on l’a dit de l’arme nucléaire – et permet aux organisations de tirer leur épingle du jeu, voire de bénéficier d’effet de levier, sans que leur taille et leur budget soient des éléments sur-déterminants, ce qui est le cas en publicité et en marketing « classiques ».
On peut appliquer au digital d’autres grilles cognitives ou théories sociales, et mêmes biologiques ou physiques (rhizome, capillarité, etc.) et dans cette même veine je suis tombé, en révisant des flashcards sur les biais cognitifs (merci Andréi et Erwan pour m’avoir fait découvrir Anki), que l’effet Dunning-Kruger.
J’aimais déjà le principe de Peter – qui veut que dans un système hiérarchique « tout employé tend à s’élever à son niveau d’incompétence » – et son corollaire logique qui établit donc qu’ « Avec le temps, tout poste sera occupé par un incompétent incapable d’en assumer la responsabilité. » Appliqué au digital c’est très utile pour appréhender la manière dont les décisions impactant la stratégie digitale sont prise, par des gens qui sont en plein « principe + corollaire de Peter » mais qu’Internet rend « encore plus incompétent » car générationnellement, en terme d’usage ou pour des raisons idéologiques, de politique interne ou encore d’égo. Mais l’effet Dunning-Kruger, c’est encore mieux car cela fait toucher du doigt une autre réalité pourtant bien tangible et quotidienne que tous les consultants digitaux connaissent bien.
L’effet Dunning-Kruger décrit un phénomène selon lequel les moins compétents dans un domaine surestiment leur compétence alors que les plus compétents auraient tendance à sous-estimer leur niveau de compétence. J’en ai déjà parlé ici en évoquant le fait que le digital – parce qu’il évolue vite et qu’il est protéiforme, composé de plusieurs couches de métiers différentes et interdépendants – rend forcément humble mais le phénomène démontré par Dunning & Kruger et publié en décembre 1999 dans la revue Journal of Personality and Social Psychology, va encore plus loin.
Dunning et Kruger se sont basé sur Darwin, encore lui, qui avait noté que « l’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance » mais ils sont allés au-delà en élaborant – après expérimentation sur des étudiants – les hypothèses suivantes selon les niveaux de compétences objectives sur un sujet :
- la personne incompétente tend à surestimer son niveau de compétence => ça on en a tous été les témoins et c’est particulièrement vrai dans le domaine du digital où soit la personne s’auto-flagelle et se dédouane de tout avis en se décalarant ignorante et donc incompétente, soit quelques maigres notions et/ou compétences génèrent une confiance excessive sur des sujets qui débordent largement la compétence initiale de la personne
- la personne incompétente ne parvient pas à reconnaître la compétence dans ceux qui la possèdent véritablement => là aussi c’est véritablement quelque chose de quotidien, où c’est quelqu’un dont ce n’est pas la métier ou qui n’a pas démontré de compétences particulières et objectivement vérifiables, qui va contredire, décider ou empêcher la mise en place d’une action légitime et justifiée, en invoquant d’autres raisons (budgétaires, politiques… mais parfois techniques ou de « sécurité » pour les DSI), voire des « croyances » (« personnellement je n’y crois pas, je pense que ça ne marchera pas, que ce n’est pas ce qu’il faut faire »)
- la personne incompétente ne parvient pas à se rendre compte de son degré d’incompétence => là encore, comment le pourrait elle ? mais ce qu’elle peut faire c’est, dans le doute, s’en remettre à des gens dont c’est la profession, qui sanctionnent d’une expérience spécifique dans le domaine concerné…
La conclusion de ces travaux est sans appel et résume bien tout l’enjeu à la fois du métier de consultant digital et de l’importance de la formation et de la conduite du changement dans les organisations qui veulent intégrer le digital au coeur de leurs stratégies : seul un entraînement de ces personnes mène à une amélioration significative de leur compétence, elles pourront alors reconnaître et accepter leurs lacunes antérieures.
Sous réserve que la bonne foi, la volonté d’apprendre et de reconnaitre ses erreurs et surtout que la confiance en l’avis de quelqu’un d’informé et e compétent puisse permettre de dépasser ce biais cognitif largement répandu, c’est effectivement la meilleur chose qui puisse arriver quand on est en prise avec un « effet Dunning-Kruger ».
On y croit 😉



2 commentaires sur “Darwinisme et effet Dunning-Kruger du digital”